Au fil des heures, des jours, des semaines, des saisons, tu te déprends de tout, tu te détaches de tout. Tu découvres, avec presque, parfois, une sorte d’ivresse,
que tu es libre, que rien ne te pèse, ne te plait ni te déplaît. Tu trouves, dans cette vie sans usure et sans autre frémissement que ces instants suspendus qui te procurent les cartes ou
certains bruits, certains spectacles que tu te donnes, un bonheur presque parfait, fascinant, parfois gonflé d’émotions nouvelles. Tu connais un repos total, tu es, à chaque instant, épargné,
protégé. Tu vis dans une bienheureuse parenthèse, dans un vide plein de promesses et dont tu n’attends rien. Tu es invisible, limpide, transparent. Tu n’existes plus : suite des heures,
suite des jours, le passage des saisons, l’écoulement du temps, tu survis, sans gaieté et sans tristesse, sans avenir et sans passé, comme ça, simplement, évidemment, comme une goutte d’eau qui
perle au robinet d’un poste d’eau sur un palier, comme six chaussettes trempées dans une bassine de matière plastique rose, comme une mouche ou comme une huître, comme une vache, comme un
escargot, comme un enfant ou comme un vieillard, comme un rat.
Georges PEREC
Reprise mais reprise
Tu t’abreuves du froid. Du bout des doigts. Mais tu ne comprends plus pourquoi tu marches dans le vide. Tu t’abreuves d’un peu de café mais tu ne sais plus pourquoi tu n’arrives plus a boire. La pluie tombe sur toi tu te crois à bruxelles. Le type ne fait plus la manche, le type bonjour monsieur merci mon ami le type n'est plus apparu depuis le premier janvier. On lui aurait raconté que je tapais sur tout ce qui bouge, depuis il se cache, n'ai pas peur monsieur, je ne bois plus depuis 35 putains de jour, depuis 35 jours bénis. La station nation ne ressemble plus a rien, les lignes ne sont même plus indiqués, on dirait ma vie, ils ont tout gratté, la station nation est nue, des fils pendent de partout, tout est à reconstruire, un an de travaux, la station nation et moi, ça nous en fait des point communs, mais la station nation on sait que ça finira un jour. La construction. Moi je suis pas sur, pour la déconstruction plutôt, c'est qui le théoricien de la déconstruction, j'ai du lire ça un jour dans un article mais je me souviens plus. La fille que je trouve jolie raconte qu'on lui à dit qu'elle ressemblait à jeanne balibar, j'ai beau cherché des points communs je vois pas, je lui dis oh tu es beaucoup plus jeune, et puis je préfère son père. Enfin ça c'est pour faire mon intéressant après que deux types aient dit j'adore jeanne balibar. Ah bon c'est qui son père me demande t'on. Ben étienne balibar je réponds. Vous connaissez pas étienne balibar je demande. Je vois pas le rapport entre la fille et jeanne balibar, remarque à toulouse une fille trouvait que j'étais le sosie de dominique pinon. Bon c'était une alcoolique certes mais elle en démordait pas. En fait je l'ai depuis tellement longtemps le syndrome brett easton ellis. Je m'en étais jamais rendu compte. L'alcool sans doute. Voila le rapport entre dominique pinon, denis brogniard, horacio des experts, ewan mc gregor, ben c'est ma pomme, un jour ou l'autre un ou une quelconque cinglé m'a dit que je leur ressemblait. Autant dire que ça fait plus plaisir quand on vous compare à dominique pinon plutôt qu'a ewan mc gregor. C'est bien beau d'être beau mais si c'est pour finir en roulant des pelles à jim carey excusez moi mais mon choix est fait. J'y pensais cet après-midi au politburo quand une fille s'est approché de la gothique et lui a dit, je voulais te dire tu ressembles trop à la fille de ncis. La gothique à rigolé en me disant qu'on lui disait ça tout le temps. Heu c'est quoi ncis je lui ai demandé et elle m'a expliqué une série à la télé, et j'ai pas la télé je lui ai répondu alors je suis un peu largué. On me le dit tout le temps elle dit, je lui ressemble pas du tout mais c'est la coupe de cheveux. Je lui ai dis oh ça m'arrive tout le temps, tu connais horacio des experts et ben on m'appelait comme ça dans mon précèdent service. Horacio. Alors elle a haussé les épaules et elle m'a dit ah non par contre tu ressembles à ce chanteur de black métal estonien, tu sais son groupe c'est un nom imprononçable. Et puis on a rigolé. Ne plus boire. Ne plus arriver à boire. Tu rentres dans un café et tu te demandes ce que tu fous là, tu te sens étranger. Et puis tout de suite basculer dans le tragique comme si la banalité ne pouvait l’emporter avec toi. Tu n’as pas de légèreté, tu es comme les autres hommes en fin de compte, un peu fébrile, un peu à cran. C’est comment qu’on boit ? Tu ne sais rien. C’est ainsi. Les autres non plus remarque. Dehors il fait un temps de pluie et de désespoir. Mais comme il ne fait pas froid il ne neigera pas. Flash-back. Elle t’a dit qu’elle avait envie de picoler et tu as pensé que toi aussi et que peut-être au fond, votre désir de plonger dans les vapeurs alcooliques cachait un autre désir. Mais cette idée s’est vite évaporée dans l’énergie et la fureur de cette soirée. Tu aurais aimé qu’il neige comme il y a trois ans. Pas la ville blanche mais dans la ville blanche. Et puis c’est comme elle disait toujours hein, on a déjà essayé à quoi bon revenir là-dessus. Ensuite tu as croisé G. qui t’a dit qu’il avait entendu parler de tes exploits lors de l’anniversaire de S. Tu as pensé que cette histoire remontait à deux ans et que tu allais en entendre parler pendant des décennies. C’est marrant d’ailleurs, les gens sont parfois choqués, outrés quand tu picoles trop et que tu fais un peu n’importe quoi mais ils te reprochent ton calme quand tu ne picoles pas. Il pleut toujours, ça n’interdit pas de vivre, rien ne l’interdit en fait. C’est tout juste si on ne vient pas te demander si tu es malade quand tu restes à quai et que tu ne pars pas sur les rives enivrées. Curieux comme l’ivresse te sociabilise mais t’interdit toute communication quand tu es à jeun. C’est comme si les gens ne te supportaient pas, ne te reconnaissaient plus. Le pire c’est que la réciproque est vraie. Tu es incapable de vivre à sec. Les mots et ton esprit restent en cale sèche. La sobriété te rend solitaire. Ce n’est pas plus mal. Il te revient une musique en mémoire et tu sais que c’est là que tu pourrais enfin toucher une forme de bonheur. C’est comme lorsque tu ne vois la vie que d’un œil, c’est pas si mal au fond mais ce n’est pas assez. Alors tu veux toujours recommencer à l’identique. J’ai vu ta sœur l’autre jour et elle m’a dit que tu avais beaucoup changé et que c’était normal. Elle m’a dit aussi que tout le monde changeait beaucoup. Le problème c’était peut être nous. Vu que nous on ne changeait pas. Un peu de musique funèbre pour se donner du courage. Un peu de cœur à l’ouvrage pour revenir en arrière. Tu n’as plus envie de rien, de travailler, de baiser, de bouffer, de vivre. Rien plus rien. Faut partir, je crois bien que c’est tout ce qui te reste. Mais bon tu vas partir et puis après ? Bon ben on verra. Tu as de l’argent, plus que tu n’en as jamais eu. C’est simple tu oses rentrer dans ta banque. Tu crânes presque au guichet au lieu d’essayer de passer inaperçu. Plaisir futile. Imbécile. Bon partir à l’est, après tout pourquoi pas, beaucoup plus à l’est. Tu l’as déjà dis des milliards de fois. Mais la fuite ça te mène à quoi. Ca te mène sur la jetée au palais, devand un café au comptoir. Ca te mène sur la plage à santa barbara avec l’autre cinglée qui court en pleurant et qui dis le bonheur c’est comme du malheur en moins. Ca te mène sur la porte de hal, à regarder la fille dans la cabane à frite, il est pas d’heure du matin, tu chouines dans ton cornet. Faut plus en vouloir, faut plus t’en vouloir. Faudrait juste un instant que les images arrêtent de défiler. T’as plus l’âge de l’inconnu, t’as plus l’âge de l’incongru. T’as plus l’âge de rien. Et c'est pour ça que tu veux tout.
C'était presque effrayant de voir à la vitesse à laquelle une personne avec qui on avait été particulièrement intime pouvait partir et disparaître ou c'était peut-être justement pour ça : On avait été si proches que par la suite, quand cela n'était plus, les choses semblaient irréelles, comme un rêve rapidement oublié, parce que de toute façon, il n'a eu lieu que dans le crane d'une personne...Car il la considérait comme un homme, quelqu'un qui ne donnait pas l'impression de vouloir autre chose que ce que lui voulait : Baiser l'autre a en perdre la raison.
Jo NESBO
Je marche dans les rues, un peu absent, un peu ailleurs je crois. Une angoisse sourde depuis le matin, alors que la veille j'étais si enfiévré de ce sourire crétin,
de ce bien-être un peu curieux. Un mois je me dis, nous sommes le premier du mois, le premier mois sans alcool, je n'ai plus rien mais je ne bois plus. Une angoisse qui me prend dans tout le
corps, une angoisse de l'absence, une angoisse du renoncement, du je ne vais pas vivre. Je ne suis pas si intelligent que d'autres le croient, je ne suis pas si crétin que d'autres le croient,
mais je n'ai même pas cette satisfaction d'avoir sans doute eu raison. Je n'ai même plus l'illusion que mes mots pourraient changer la donne, je n'ai plus l'impression d'un soupçon d'admiration,
je ne suis plus qu'un pion sur un damier, je ne suis plus qu'un type parmi d'autre, un fantôme, une impression. Bien loin de la statue du commandeur. Je ne crée pas cette dépression soudaine que
provoque la vue du commandeur, je ne crée pas ce manque, cette envie de renverser des montagnes. Je ne m'investis jamais, je ne peux pas demander que mes errances rapportent quoi que ce soit.
J'écris dans l'appartement vide, j'étire les mots, les impressions, une longue lettre pour un au-revoir. Je suis dans le 26, seul malgré des présences, je suis dans le 26, il est 10 heures du
soir, et quand je descends à Nation, je ne sais même pas s'il reste des gens, je traverse le cour de vincennes sans même regarder derrière moi. Je suis mort mais ça ne sert à rien de la dire
puisque tout le monde me croit vivant. Je longe les murs de la place de la nation, les bars ouverts, les commerces fermés, qu'est ce que j'en ai à foutre après tout, qu'est je peux en déduire
malgré tout. C'est pas trop difficile de faire le deuil de sa propre, vie c'est plus difficile de faire le deuil de la vie des autres, de tout ceux que tu ne verras plus, de tout ceux que tu ne
vivras plus, de leurs paroles, de leurs sourires, de leurs souvenirs. J'ai cru longtemps que sans rien offrir, apporter, donner, j'ai cru longtemps que mes paroles, mes écrits et ma logorrhée
pénible suffirait à la chose. J'ai cru un peu beaucoup que ma présence suffirait à la dose d'amitié, d'amour que les gens te demandent. Mais je n'ai pas donné le change. On peut pas rester
accroché à un alcoolique comme toi. Tu es une sorte de détachant, une sorte de furet qui passe à la vitesse de la lumière alors ne crois pas que l'on peut rester près de toi bien longtemps. J'ai
ce malaise gluant qui colle à mes chaussure.s C'est quoi ce sentiment diffus que tout est fini, que les fleurs ne repousseront pas sur le balcon de ma détresse, comment exprimer cette douleur
magnifique qui n'est encore qu'aux prémices. Car ce n'est rien cette douleur soudaine, ce n'est rien de rien de rien. Attends la suite. Je ne sais même pas de quoi je souffre, de n'être pas
grand-chose, non j'ai jamais pensé être quoi que ce soit, sincèrement, non, je crois que c'est mon incapacité à changer la donne, à distribuer les cartes, a toujours subir les événements, que la
réalité m'apparaisse dans cette sorte de crudité, de cruauté. J'en suis à ramasser les miettes, et en hiver elles sont rares, j'en suis à regarder les autres vivre, j'en suis à me demander
partout ce que je fais là. Je regarde les images de la vie qui défilent, tu m'étonnes que j'aille beaucoup au cinéma. Spectateur : je crois que je suis bon qu'a ça.