Le type me regarde et me dit vous comprenez monsieur drink je vais demander le divorce, ce n'est pas possible, ma femme ne veut pas venir, elle veut rester au pays, monsieur drink vous savez ce que sait, un homme fort comme vous, je n'ai pas touché une femme depuis 15 ans. Je vais a beaubourg pour voir le spectacle de cette fille avec laquelle j'ai dansé, je regarde ces gens qui dansent sans se connaître, et je me rends a quel point j'étais mauvais dans le spectacle il y a quelques années. Pendant mon sommeil j'ai des visions de visite, de vies tourmentées, je suis sur un bateau, je suis sur le port. Je me demanderais si je te reverrais jamais. Je ne crois pas. Vous êtes un ange monsieur drink me dit la femme qui a des lèvres pas naturelles, qui a joué dans quelques films oubliées, qui fut l'épouse d'un ministre obscur. Vous êtes la personne la plus adorable que je connaisse. Je sens l'ivresse a la troisième pinte, je me sens si loin de mes collègues, si loin de leur jeunesse, de leur naïveté, si loin de ce que je ne suis plus depuis longtemps. Ils ont beau dire que j'ai trente ans et des poussières, je sais bien que ce n'est pas le cas. Avec la nouvelle salariée, on fait et on refait les comptes, on fait et on refait les additions, on fait et on refait les soustractions, ça commence bien je lui dis, tu es la depuis un mois et on ne va pas pouvoir te payer. Elle rigole et je me demande si a 25 ans j'aurais rigolé aussi. Je ressens une curieuse fatigue comme une lassitude qui ne veut pas dire son nom, je ressens comme une impression que je ne suis plus tout à fait dans la vie. Je pars et je suis sans doute un bourré, je lâche mes collègues qui me demanderont le lendemain pourquoi je suis parti. Dans le métro je vois les affiches pour le festival qui se déroule dans cette ville ou je ne retournerais sans doute jamais, et puis je me dis que cette année je ne recevrais pas le catalogue. Il y a quelques années j'avais failli aller voir david peace présenter sa trilogie. Comme je suis bourré je mets trois plombes a rentrer chez moi, je m'endors a chaque fois dans le métro, je m'endors dans le bus et quand j'arrive enfin devant ma porte c'est pour m'apercevoir que j'ai oublié mes clés au politburo. Je marche dans la nuit. Je suis fatigué. Mais je me rends compte que je dois me laisser vivre. Ou mourir, je ne sais pas encore.