Je ne sais pas encore que je serai bientôt mort. Je marche dans la rue. Il est tard je suis un peu fatigué. Je vais rentrer à la maison et dormir. Encore quelques pas. Je suis sortie dehors lire
ce livre à la terrasse d'un café, comme parfois je le fais quand j'ai du mal a les terminer. Les livres. Je ne suis pas très en forme, je m'inquiète toujours quand je ne la vois pas rentrer,
quand je sais qu'elle est sortie boire des verres pour oublier. Vivre et s'amuser. Ce n'est pas qu'elle roule des pelles à un garçon qui m'inquiète, c'est juste, j'ai toujours un peu peur d'une
mauvaise rencontre. Enfin c'est ce que je me dis pour faire croire que je m'en fous. Je suis surtout mélancolique de notre relation qui se termine, je sais que je ne serai rien pour elle, je me
souviens de ce supermarché dans la petite ville ou elle m'a expliqué. Non juste un amant elle m'a dit, tu as été mon amant. Je crois que je préférerais être comme celui qu'elle déteste, au moins
elle l'a aimé. Pas longtemps mais. Au moins. Je me sens comme un retour d'éducation chrétienne, je me prends pour un putain de catholique qui subit son chemin de croix, tu as tellement fait
souffrir, tellement provoqué de larmes, de dépits, de tristesse, même une tentative de suicide. Je paie l'addition je me dis, un peu, c'est mon tour de souffrir et comme je suis pas le genre à
faire les choses à moitié, je me vautre dans la déroute. Je tourne dans la rue, je me demande ce qu'ils font tous là, je me sens con, je remarque ce garçon auquel elle sourit, je ne me souviens
pas qu'elle m'a sourit ainsi depuis des siècles, je regarde leur complicité, leur intimité. Je reste interdit. Je suis à quelques mètres mais personne ne me voit. Alors je rebrousse chemin. Je
marche à toute vitesse pour m'éloigner puis je reviens, et puis je reste interdit dans la rue en les voyant s'embrasser, alors je repars en arrière. Je marche à toute vitesse, je cherche un café,
je veux boire une carafe de gin, un tonneau de vodka, je veux boire un alcool fort, si fort. De toutes manières, je suis mort. Je passe mon temps à briser mon âme sur des murs de métal, je passe
mon temps à cogner mes genoux sur le pavé. Je me passe a tabac. Je passe au tabac, j'achète deux paquets de cigarettes que je fume frénétiquement en marchant. J'ai pas fumé plus d'une cigarette
par jour depuis des semaines voire des mois, et je sens peu à peu que j'ai mal au poumon. Je veux mourir. Je veux boire. Je passe devand un type qui range sa boutique, celle ou il y a pleins de
bières. Je veux rentrer et acheter tout son stock. Je me demande pourquoi ils sont revenus en bas de la maison, je me dis elle est peut-être remontée, je comprends pourquoi je n'ai pas de
réponses à mes messages. Je lui téléphone, juste je veux savoir si elle rentre, si je peux aller me noyer dans l'alcool, dans le canal, dans le remords et la douleur. Elle ne répond pas. Le
téléphone sonne dans le vide. Je me retrouve devand la maison mais toutes les lumières sont éteintes, elle n'est pas remontée. Elle est partie bien sur. Je continue de tourner dans le quartier,
je la vois descendre dans le métro, partout je vois des filles qui lui ressemblent avec le même sac à dos. Je me dis j'ai peut-être rêvé, ce n'était peut-être pas elle, ils sont encore en train
de boire des verres au café. Deux jours plus tard, la femme derrière son bureau le teint hâlé me demande pourquoi je m'obstine a souffrir ainsi, vous ne comprenez rien, vous le faites exprès. Je
suis un crétin je lui dis, je ne peux pas m"éloigner d'elle vous savez, c'est comme un aimant vers lequel je reviens. C'est le premier jour de ma vie d'après. Non elle dit quand vous serez parti,
là ce sera le premier jour de votre vie d'après. Vous devriez deja être parti non ? Mais ma vie d'après c'est la mort je lui dis. Je la cherche dans la nuit, à force de marcher depuis des heures,
j'ai mal aux jambes, partout, je remonte. Elle arrive, juste après moi. Elle mange pour dissiper l'alcool, elle semble calme. Je fume toujours. Je ne ressens rien pour lui mais j'ai envie de le
revoir elle me dit. Je me dis qu'il serait tant que je comprenne, je suis le miroir de celles que j'ai fait souffrir. Je les comprends toutes aujourd'hui, après toutes ces années, je les
comprends. Je suis mort mais je suis enfin devenu humain. Il m'aura fallu ça, ces images qui s'ancrent dans ma mémoire, qui m'empêchent de trouver le sommeil, qui me rende à moitié fou. Mon corps
se plaint. Je voudrais me briser sur les vagues. Je ne serais plus jamais le même je me dis. Elle va le rejoindre demain ou un autre jour. Et si ce n'est pas lui ce sera un autre. Je vais
m'effacer. Redevenir un fantôme. Vous n'avez pas bu me dit la femme derrière le bureau. Avant vous auriez été boire en maudissant la terre entière. C'est positif vous savez. Je goûte à la douleur
je réponds. Ce qui m'importe c'est que vous n'appréciez pas ce goût elle me dit, il y a d'autres mets sur terre que la souffrance et la douleur. Alors je me mets à pleurer. Elle me tends une
boîte de mouchoir. Je crois bien que j'en attrappe un. Mais il reste au bout de mes doigts, je n'ai jamais su me moucher.