Regards croisés

Je regarde la nuit à travers mes carreaux tout propres et je pense à cette femme qui regarde aussi le jour qui se lève à travers la fenêtre de sa chambre d'hôpital. Même si le jour ne se lève pas.  Nos vies sont des cascades qui jamais ne s'arrêtent, nos vies sont comme la rue des cascades, un chemin de pavés mouillés et de petits recoins magiques. On pourrait commencer de vivre maintenant que nous sommes déjà bien trop vieux pour un quelconque bonheur, maintenant que tout est bien et à sa place, on pourrait recommencer à vivre. Je pense a la femme qui regarde le jour et je me demande si elle se demande si elle en verra d'autres. Je regarde un fantôme qui s'ébroue dans le noir, et je me demande si elle se demande si la femme un peu âgée verra encore d'autres jours. Des gens partent et d'autres arrivent, des nuits trépassent et des jours dérivent, comme la promesse d'un ailleurs qui n'existe pas. Nous sommes les personnages d'un film que personne ne dirige puisque truffaut est mort, les personnages d'une chanson que plus personne ne chante puisque bashung est mort, les personnages d'une bande dessinée que plus personne ne dessine puisque reiser est mort. Je pense à cette femme alors que la nuit ne laisse pas le jour se lever. Nous dansons encore en haut de la rue de ménilmontant avec vue sur la tour eiffel parce que nous sommes des enfants, nous rions encore en haut du belvédère du parc de belleville parce que nous restons des enfants. J'ai douze ans et toi dix ans, ou peut-être un peu plus, ou peut-être un peu moins, tu regarde la nuit depuis la fenêtre de ta maison. Je pense à toi qui regarde tes tartines, qui les mange, je pense a cette femme dans sa chambre d'hôpital. Et puis je me dis que le jour va se lever. Et je me dis que tu vas arriver. Je sais que tu vas arriver.