Les ivres de poche

Je n'ai même pas poussé la porte du rade que déjà j'entends les rires. Mais je suis le type le plus parano de tout les temps, je suis très susceptible mais je ne suis pas aussi susceptible que je suis parano, enfin bref j'ai quand même l'impression que tout le monde se bidonne quand je rentre dans le café. Je traverse la salle d'un air très digne mais je me dis que ça sent le paté quand je vois que même le serveur me sourit quand je me pointe au bar. Le vieux me fait un clin d'oeil et me dit on arrive  toujours après la bataille hein capitaine. Bordel je reste digne même si je les trouve tous bizarre et que j'ai juste envie de cramer ce troquet pour leur faire passer le goût du foutage de gueule. Le serveur me dit c'est pour moi capitaine qu'est ce que je peux vous offrir. Je prends une bière. Je trouve tout le monde totalement lunaire. Tiens, dit le serveur, en parlant a un type a casquette accoudé au comptoir, c'est chez ce monsieur que vous venez de livrer. Et il me fait un clin d'oeil ce connard de serveur. Vous inquiètez pas msieur, dit le type a casquette en machouillant sa cigarette, j'ai tout réglé avec votre dame, elle avait l'air bien contente, elle a dit que ça vous ferait bien plaisir. C'est quoi cette histoire de putain de livraison je me dis. Mais je ne pose aucune question. Je me couperais un bras plutôt que de poser une question. J'ai un léger frisson dans le dos en me remémorant que je suis passé devant un semi-remorque en arrivant au bar. D'ailleurs le type n'a pas la gueule du jeune livreur en mobylette a casquette. C'est pas un petit paquet qu'il a livré, bordel je me dis, un semi-remorque ? Je souris bêtement au vieux pour faire comme si j'étais au courant. Le gérard majax du port vient se pointer au comptoir en riant, cher capitaine il me dit, je crois que vous avez de la lecture. Bordel tout le café se bidonne, même les vieux croulants qui jouent aux cartes se bidonnent. Elle est bien jolie votre dame si je peux me permettre me dit le livreur avec sa clope au bout du bec que j'ai envie de lui faire avaler, mais ça me faisait un peu peur cette livraison, deux tonnes de bouquins ça peut vous faire couler un bateau qui sauf votre respect msieur n'est pas le plus solide que j'ai vu dans ma vie. Deux tonnes de bouquins je me dis, la brave petite qui m'a offert pleins de livres, elle qui sait que j'aime tant ça. Oh bordel je me dis, deux tonnes de bouquins ! Moi j'aime bien dit le gérard majax du port, j'ai trouvé ça sympa cette montagne de livre de poche sur votre raffiot, il y a un petit côté art brut. Vous aimez l'art brut vous capitaine. Je veux pas partir en courant vers le bateau, même quand le livreur rajoute que deux tonnes de livres de poches de marguerite duras, ça vous fait tanguer un bateau. Dommage dit le vieux, même lui qui n'ose jamais semble près à se foutre de ma gueule, dommage que vous n'ayez pas été là dix minutes plus tôt, le fantôme dansait sur le ponton au milieu des livres, avec un air un peu démoniaque.  Oui je me suis dis qu'elle buvait, à reprit le serveur, ça me rappelle le bon vieux temps quand elle se vidait deux mojitos, oh on rigolait à cette époque. Même le magicien semble nostalgique de cette époque ou il a du obtenir un léger baiser dans les tréfonds de l'ivresse. Je règle ma bière, alors que le livreur me répète elle est jolie hein votre dame, comme un robot mécanique, encore un qui est tombé sous le charme, c'est dommage pour lui ça restera un souvenir. Je pars du café, alors que tout les soiffards semblent morts de rire, je devine au loin le bateau et la montagne de livres de poches de marguerite duras que le fantôme à fait déverser sur le ponton. Je hausse les épaules et je continue d'approcher un peu dépité, sachant bien qu'elle est partie je ne sais ou pour éteindre sa fureur. Je me demande si le monde a jamais enfanté un être aussi cinglé et jaloux que le fantôme. Mais je sais aussi que le monde n'a jamais enfanté un être qui m'aime et me chérisse autant. Alors je hausse les épaules, continuant d'approcher du bateau et j'attends qu'elle revienne. J'attends que tu reviennes.