Le souvenir des larmes

On prétend que sur son lit de mort, O'carolan a demandé un verre de whisky en disant :"Ca serait une chose terrible pour deux amis si chers de se quitter sans un dernier baiser". J'ai toujours plus ou moins pensé que je finirais ainsi. On ne meurt pas d'alcoolisme, pas plus qu'on ne meurt de chagrin ou d'amour, on ne meurt que de mort. J'ai toujours su que c'est par le bide que je rendrais l'âme. Je n'ai jamais eu beaucoup de coeur, toujours de l'estomac. Ah oui au fait, O'carolan était un musicien ambulant, il a écrit beaucoup de musique pour harpe irlandaise. Pour ta gouverne. Je suis un alcoolique. Je picole depuis toujours, je picole depuis que ma grand-mère me versait un peu de crême de cassis dans un verre en cristal auquel elle rajoutait de l'eau. Je me souviens que j'ai pris ma première cuite vers seize ans. Au vin blanc. C'était pour accompagner la raclette. Je n'ai jamais aimé la drogue et dans ma bande, parmi les fumeurs d'herbe, les ecstasyés et les sniffeurs, il restait toujours ma part. Toujours un gramme en trop dans la bande a coco. Le mien. Ensuite j'ai picolé pour combler le vide de mon existence, j'ai picolé pour passer le temps, et puis surtout j'ai picolé pour pouvoir aborder les filles dans les soirées. En fait ça n'a jamais marché, je n'ai jamais abordé les filles, j'ai attendu qu'elles m'abordent. Ce qui fait que j'ai beaucoup attendu dans ma vie. Beaucoup beaucoup. Ensuite j'ai picolé pour arriver a coucher avec les filles. En fait c'était crétin car les filles qui voulaient coucher avec moi comprenaient vite qu'il fallait juste me demander. En gros dans ma vie, j'ai couché avec toutes les filles qui me désiraient. A peu près. J'ai beaucoup picolé. Pour cette espèce de liberté absolue, pour ne plus avoir peur, j'ai bu pour tutoyer mes idoles, pour me croire intelligent, pour écrire une ligne un peu valable. Ensuite j'ai bu par habitude, par plaisir parfois, pour oublier, pour ne pas oublier, pour être un autre que moi. Boire c'est souvent croire qu'on peut devenir meilleur, sauf que si l'on peut le devenir meilleur, ce n'est surtout pas en buvant. Je suis, je serais alcoolique jusqu'a ma mort. Comme je serais roux jusqu'a ma mort. Comme je serais gaucher jusqu'a ma mort. L'alcool est une saloperie et une extase. Je serais toujours un alcoolique. Quand tu es près de moi, je n'ai jamais envie de boire. C'est curieux car en général quand je suis avec une fille je n'ai qu'une envie c'est de boire. Avec toi, tout me paraît fluide et tranquille, tout me semble a sa place, je n'ai pas besoin d'émotions plus forte ou d'ivresse un peu pathétique. Tu m'as appris la vie à jeun, tu m'as appris tant et tant de choses, mais surtout tu m'as appris la vie a jeun. L'alcool est un souvenir. Qui ne me quitte pas. Parce que rien n'est plus fort que toi . Rien n'est plus fort que toi.