Main dans la main ils vont tant mal que mal d'un pas égal. Dans les mains libres - non. Vides les mains libres. Tous deux dos courbés vus de dos ils vont tant mal que mal d'un pas égal. Levée la main de l'enfant pour atteindre la main qui étreint. Etreindre la vieille main qui étreint. Etreindre et être étreinte. Tant mal que mal et s'en vont et jamais ne s'éloignent. Lentement sans pause tant mal que mal s'en vont et jamais ne s'éloignent. Vus de dos. Tous deux courbés. Unis par les mains étreintes étreignant. Tant mal que mal s'en vont comme un seul. Une seule ombre. Une autre ombre.
SAMUEL BECKETT
Le mot juste c’est le silence. Même s’il m’est impossible de m’abandonner dès maintenant à cette muette sagesse – comme je le ferais bientôt – il faut que je cesse sans plus tarder d’être écrivain dans le sens le plus misérable du terme. Il faut que je laisse sans plus tarder le putanat le plus roublard derrière moi. Il faut que je fasse preuve de simplicité. D’une simplicité que je n’aurai pas le temps de trop polir, pas plus que je n’aurai le temps de revenir sur ce que j’écris, de m’arrêter ou de me livrer à de longues réflexions. Comment pourrais-je considérer comme un livre ce flot de paroles qui s’échappe de moi ?
Nick TOSCHES
J'ai trente-trois ans et l'impression que beaucoup de temps a filé et file de plus en plus chaque jour. Jour après jour, il me faut opérer toutes sortes de choix concernant ce qui est bon, important et amusant, pour ensuite vivre déchu de toutes les autres options que ces choix auront confisquées. Et je commence à voir, à mesure que le temps prend de la vitesse, combien mes choix se feront de plus en plus rare, combien les séquestres se multiplieront, exponentiellement, jusqu'à ce qu'un jour, sur l'arbre somptueusement complexe de la vie, j'atteigne la branche qui ne lancera plus de rameaux, où je demeurerai finalement bloqué, jusqu'à ce que le temps me propulse vers diverses phases de stase, d'atrophie et de pourrissement et que je casse ma pipe - tant de combats et pour quoi - noyé dans le temps. C'est effroyable. Mais ce sont mes propres choix qui m'enfermeront, cela paraît inévitable - si je prétends être une grande personne, il me faut faire des choix, regretter ce qu'il confisquent, et m'efforcer de vivre avec.
David Foster WALLACE
Si ce que j'écris est bon alors on me lira. C'est pour ça que la littérature existe. Un auteur met tout son cœur et toutes ses tripes sur la table. Retiens ça : Un bon roman peut changer le monde. Répète-le-toi avant même de t'asseoir devant ta machine à écrire. Ne perds pas ton temps a faire quelque chose si toi-même tu n'y crois pas.
John FANTE
L'être que j'attends n'est pas réel. Tel le sein de la mère pour le nourrisson, je le crée et je le recrée sans cesse à partir de ma capacité d'aimer, à partir du besoin que j'ai de lui : l'autre vient là ou je l'attends, là ou je l'ai déjà crée. Et, s'il ne vient pas, je l'hallucine : l'attente est un délire.
Roland BARTHES
Il faillit hocher la tête mais se retint de justesse, parce qu'elle avait raison et qu'il ne supportait pas l'idée qu'elle puisse lire si aisément en lui. Elle en avait toujours été capable et le serait toujours, il n'en doutait pas. C'était terrible. Il lui arrivait parfois de penser à toutes ces parties de lui-même qu'il avait disséminées au cours de sa vie, tous ces autres lui éparpillés un peu partout, et dont elle détenait la pièce maîtresse sans toutefois donner l'impression d'y attacher la moindre importance, comme si elle l'avait reléguée au fond de son sac à main, parmi les mouchetures de talc et la petite monnaie.
Dennis LEHANE