Des nuits, des paroxysmes, des coups, des hurlements, des bleus sur le corps, des bleus à l'âme, des visions effacées, des souvenirs brouillés, des corps qui s'affrontent, des verres qui se brisent, des bouteilles qui s'écrasent, des douleurs inconnus, des voix qui résonnent, des nuits qui ne veulent finir, des insomnies tenaces, des vies qui s'échouent, des regards qui ne se parlent, des peaux qui se refusent, des soirées monotones, des goût de fer dans la bouche, des poings dans les épaules, des coups dans les tibias, des types qui hurlent ton nom, des portes qui claquent, des visages fermés, des lèvres qui se ferment, des ruptures impossibles, des lendemains qui saignent, des répits invisibles, des murs qui se dressent, des kilos qui s'envolent, des refus de pleurer, des rires avariés, des cris un peu usés, des yeux qui traînent au sol, la violence dans la tête, du parquet dans la bouche, des nausées impalpables, des céphalées ardentes, du verre sur le poignet, une corde au plafond, des marches un peu hachées, des insultes hystériques, des mouvements soudains, des âmes sans profondeur. C'est donc cela l'alcool ?
Punch the clock. Frapper. Frapper. Frapper. Tu comprends, tu ne comprends pas. Troisième jour sans alcool, tu commences à comprendre, ton esprit qui descends, ton poids qui descends, ta vie qui descends, tout qui descends les organes, l'âme tout. Ce ne sera plus, tu vas payer, pour ça arrêter de boire, pour tout te prendre dans le buffet, les coups, la douleur, tout. Il faut que tu comprennes, enfin. Ne plus boire. Ne pas boire. Ce n'est pas si difficile en fait, ce n'est pas si compliqué, tu n'es plus vivant, tu ne comprends plus la douleur. Tu t'installes chez ta mère, tu te réinstalles, comme quand tu étais venu pour l'agonie de ton père. Tu ne rends pas compte, tu ne te rends plus compte. Ne pas boire, ne plus boire. Troisième jour sans picoler, sans donner de coups, sans hurler des insanités à l'oreille des gens. Tu semble comprendre ce qui t'en veulent, sauf qu'ils ne t'en veulent plus, tu ne comprends plus mais tu sens que ça va revenir, alors tu ne bois plus, tu restes près de ta mère, qui semble aller mieux, toujours on va mieux avant la chute finale. Tu n'es plus capable d'accepter des caresses, tu ne comprends plus l'amour l'amitié la présence, tu parles mais tu n'écoute pas ce que tu dis, on te parle mais tu n'entends pas ce qu'on te dit. Tu essaies de comprendre ce qui t'arrive, ton poids qui descend, ton âme tout en bas, ton corps qui ne sait pas, ton corps qui ne sait plus. Tu vas payer forcément, prendre la douleur à pleine dents, ne plus boire, ne pas boire, ne plus parler, ne plus écouter, tu as l'impression que tu vas vivre tout seul entre quatre murs, tu as l'impression que tu vas ne plus vivre, tu as l'illusion que les choses n'ont jamais été, que les choses ne seront jamais. Frapper, frapper, frapper. Coups de poings. Coups de pieds. Des coups dans le mur. Des coups, des coups, des coups. Descendre les escaliers infernaux, un type crie ton nom dans les escaliers, tu t'en fous ce n'est pas toi, tu t'en fous il n'est pas toi, il ne te connaît pas, tu t'en fous. Tu imagines après ton départ, non, tu n'imagines plus, les gens se déchaînent sans doute, ils ont raison. Toi tu descends, c'est long la descente. Toi tu es malade, alcoolique et malade, la dernière cuite, l'ultime cuite. C'est ainsi, non, l'ultime cuite sera pour moi. Le troisième jour sans boire. Pas de nostalgie. Le troisième jour. Encore des centaines, des milliers devant, encore des jours des jours et puis des autres jours. Tu te retournes des larmes partout sur ton visage. Il fait nuit, la dernière cuite, il fait nuit. Tu ne sais pas.
Tout ce que je jugeais juste semblait inique aux autres;
Ce qui me paraissait faux, les autres l'approuvaient.
Je me retrouvais mêlée à des disputes partout où j'allais,
Je tombais partout en disgrâce;
Alors que j’aspirais au bonheur, je ne suscitais que souffrances;
De sorte qu’on m’appela «malheureuse»:
Le malheur, c’est tout ce que je possède.
Richard WAGNER
Tu sais, je suis comme ce type en bas de la montagne, qui regarde en hauteur et qui voit le sommet, et qui se dit un jour je vais y arriver. Je suis comme ce type
en bas de la montagne, sauf qu'il n'y a pas de sommet. Le 22 juin est le premier jour sans alcool, le premier, et il n'y a pas le choix. Définitivement et absolument pas le choix. C'est ça ou se
réveiller un jour en prison par ce que tu as tué quelqu'un, c'est ça ou se réveiller un jour parce que tu as perdu tout le monde, enfin tu as déjà perdu tout le monde dans les faits, mais voilà
c'est juste ça. Ne pas boire, ne plus boire, tu ne sais pas concrètement ce que ça veut dire, la décision n'est rien, la décision n'est rien de rien de rien, mais tu sais que tu n'as pas le
choix. Pas le moindre échappatoire. Interdiction absolu de boire la moindre goutte. Ta dernière cuite fut celle de trop, sera celle ou tu es devenu fou, ou incontrôlable, tu vois des images, tu
entends ta voix. Ce n'est pas toi. Mais c'est toi. Tu ne veux pas t'en souvenir, tu veux oublier, mais tu ne pourras pas, jamais, tu ne pourrais plus, c'est trop tard. Tu ne peux plus, désormais,
tu ne boiras plus, tu seras en terrasse des cafés à regarder les autres, et toi et bien tu deviendras ce type qui commande des eaux gazeuses, un jus de fruit, ou alors ce sera café café et café.
Et puis cigarette, cigarette, et cigarette. Tu fumes à nouveau, tu arrêteras mais pas tout de suite, tu arrêteras mais pas maintenant. Tu vas longer les murs pour éviter les gens que tu as
choqués, tu vas éviter des soirées, des rues, tu voudrais devenir invisible. Changer, encore, de vie, de tout. De vide. Tu regardes en l'air, il n'y a pas de sommet a la montagne, il n'y a jamais
de sommet, tu vas continuer de monter, de monter et de monter encore et il n'y aura jamais de sommet à la montagne. Boire c'est rajouter de la douleur à la douleur, mais ça on ne le sait jamais,
enfin si on le sait le lendemain, mais on est jamais conscient qu'on est encore plus malheureux. Pas le choix. Ne plus boire la moindre goutte. J'ai un peu peur. Mais pas tant que ça. J'ai un peu
peur. Mais j'ai pas le choix. C'est aussi bien comme ça.
Je n'ai pas été tellement épanoui en amour jusqu'à présent, mais cette fois j'ai l'impression que ça y est... Pourtant, ça n'y est pas. Ça n'y est jamais avec moi,
jamais durablement. Il suffit qu'un amour soit possible, soit heureux, pour qu'au bout de 3 mois j'en découvre l'impossibilité. De la femme que j'aime, je commence à penser qu'elle ne me convient
pas, que je me suis fourvoyé, qu'il y aurait mieux ailleurs, qu'en vivant avec elle je renonce à toutes les autres.
Emmanuel CARRERE