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19 décembre 2014 5 19 /12 /décembre /2014 13:52
De l'autre côté des choses

Je ne sais pas parler aux autres. Vraiment. Je n'écoute pas mais je ne m'exprime pas tellement non plus. Je ne sais pas comment font les gens, je crois qu'au fond ça ne m'intéresse pas tellement d'ailleurs, mais ce que je peux vous affirmer c'est que je ne sais pas parler aux autres, je ne sais pas leur dire, les maux, les aigus, les nocturnes, les gymnopédies et la vie qui passe ou ne passe pas. Je ne sais pas parler aux autres. Le fantôme me comprends, le fantôme sait mieux qui je suis que je ne le sais moi-même, le fantôme sait m'entendre alors que je ne parle pas. Je pourrais être muet le fantôme m'entendrait, je pourrais ne plus écrire le fantôme me lirait. Si je savais parler aux autres, je leur expliquerais pour quelles raisons la littérature est supérieure a tout le reste. Mais je deviendrais lyrique et ça n'aurait absolument aucun intérêt, aucun putain d'intérêt. Je ne lis pas pour passer le temps dans le métro, je ne lis pas pour passer le temps dans le bus, je ne lis pas pour passer le temps sur une satanée plage ou je ne vais jamais d'ailleurs exposer mon corps d'écureuil irradié. Je ne lis pas pour lire des histoires dont je me fous, pour lire des mots alignés, je ne lis pas pour devenir vaguement intelligent, ou pour trouver un sens a la vie ou a ma vie en particulier. Tout le monde le sait, on va droit dans le mur. L'important c'est juste de garder un sourire au coin des lèvres avant le choc fatal. Je ne lis pas des polars pour savoir qui a tué qui, et pourquoi, je ne lis pas pour lire, je lis juste parce que c'est ma vie, ça me parle. Je lis parce que je comprends parfois ce qu'est ma vie. Je lis parce que ce que ça me maintient en vie. J'écris aussi bien sur, mais ce n'est pas pareil, j'écris pour ce que sans doute Cioran appelait la tentation d'exister. Revenons a la lecture. Parfois, même souvent, un livre me parle, parfois, même souvent, un livre me parle un peu plus que les autres. Sans doute pas le livre en lui-même, c'est plus indicible, c'est comme vivre a belleville et pas ailleurs, c'est comme aimer le polar et pas le roman policier, c'est comme aller dans un rade et pas dans celui juste à coté. Avec pourtant les mêmes gens. Vous savez parfois ou même souvent, un livre me parle plus que les autres. Quand j'ai refermé la dernière page, quand j'ai refermé la dernière des dizaines de pages, quand j'ai refermé la dernière des centaines de pages, quand j'ai refermé la dernière des plus de mille deux cent pages du livre, j'ai eu du mal a ne pas contenir une légère émotion. J'ai compris que nous aussi, nous aussi avec le fantôme nous étions des sortes d'agents doubles, nous avions des strates, des niveaux d'existence. Des types sont restés cinq ans, des types sont restés dix ans, des types sont restés vingt ans, des types sont sans doute morts en attendant qu'on les réveille, en attendant un ordre, en attendant de remplir une mission pour laquelle ils étaient préparés. Des types sont sans doute morts. Nous sommes ainsi je me dis, nous aussi, nous vivons notre vie secrète, nous vivons l'écume des choses, et parfois, nous nous réveillons l'un l'autre. Nous sommes des agents doubles de nos propres vies, personne ne nous connaît si ce n'est nous-même, nous avons nos codes, nous avons nos mots de passe. Notre vie parallèle, nos vies emmêlés, nos respirations sont un souffle, un idéal, ce n'est pas l'idéal mais c'est un idéal. C'est pour cela que je ne serais jamais malheureux, c'est pour cela que je ne veux jamais être plaint. Ma vie fantôme est plus riche que bien des vies, parce que même si c'est un fantôme, la plus belle femme du monde m'entends même quand je ne parle pas, la plus belle femme du monde me lit même quand je n'écris pas. Ma vie fantôme est une vie pleine. Remplie de tant de choses. Remplie de toi. Je crois que c'est suffisant. Je sais que c'est suffisant. Je sais que c'est largement suffisant.

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